A la citoyenne Morand Jouffrey dans le domaine de Machy commune
de chasselai par la petite poste, à Lyon.
Paris, le 14 fructidor l'an 4.
14 ii 035 3 037
Papier à lettre à en-tête, Égalité Liberté, Commission des travaux publics.
Sur l'enveloppe, ie sur le dos de la feuille, un tampon « Mtre de
l'intérieur. ».
Hier m'est parvenue, ma bien
bonne amie
, ta lettre du 8 de ce mois, elle m'a fait plus de plaisir que les
autres parce qu'elle était plus longue, je craignais bien cependant d'être privé du
plaisir de te répondre, depuis hier matin je travaille continuellement à mettre au net
quelque chose que j'ai déjà refait plusieurs fois à cause des changements qui sont
devenus nécessaires. Je viens d'en porter quelques feuilles à un copiste pour les
transcrire et vais rentrer chez moi pour continuer mon travail ; cependant comme je suis
à une lieue de la poste, j'ai prié M. Fontaine de me permettre d'écrire un mot chez lui
et c'est d'où me vient cette feuille de papier à belle image.
La commission est composée de Rambaud
, Richaud
et Nugues
; le second est dit-on celui qui était à Lyon avec
Letellier, cependant je n'en ai pas encore la certitude parce que je n'ai pas pu le
rejoindre, quant au représentant Nugues
, il est de
Vienne en Dauphiné, connaît bien ma famille et mon affaire, m'a témoigné le plus grand
intérêt et il paraît que je dois de la reconnaissance à M.
Pastoret
pour la composition de la commission. Je n'ai rien à faire maintenant
que d' et de voir tous ceux qui peuvent m'être de quelque utilité et de
préparer le rapport et la décision de l'affaire.
Je t'avoue que la lettre de M. Avandy
m'a donné un peu d'humeur,
pourquoi se faire un monstre d'un accroissement de péage nécessité par l'impossibilité
d'obtenir autre chose du gouvernement ; je ne trouve ici que des gens qui ne voyent pas
à cela le moindre inconvénient ; il est singulier que ce soit maintenant à moi de me
justifier auprès de mes associés de mes succès, si j'en obtiens, certainement je n'ai
pas pu balancer à suivre la marche qui m'était tracée par notre pétition au département,
par l'avis de cette administration et par les pouvoirs qu'on m'a donnés en m'envoyant à
Paris. Je l'ai pu d'autant moins que je n'avais pu obtenir aucune autre espèce
d'indemnité puisqu'on ne veut pas seulement entendre parler de l'exemption de l'impôt.
Aussitôt que le plus pressé sera fait je vais adresser à M.
Broglie
à Grenoble et à M.
Averdy
à Lyon des observations sur cet objet parce qu'il est bien important que
vis-à-vis du public nous ne paraissions pas divisés entre nous sur un objet de cette
importance. Ils feront au reste ce qu'ils voudront ensuite, et abandonneront s'ils le
veulent leurs droits. Mais pour moi, je n'ai pas de terreur panique et ne veux pas avoir
fait un voyage inutile. Certainement le péage à un sou ne produira pas le double du
péage ancien, mais je compte qu'il doit produire au moins quinze mille livres de plus
chaque année ce qui multiplié par cinq avancerait bien nos réparations.
Ce qui me désole dans cette affaire c'est de voir ma bonne mère
(qui ne cesse par sa conduite d'être
en opposition avec les sentiments de tendresse qu'elle veut que je lui suppose) préférer
un parti qui me serait infiniment onéreux sur la froide espérance qu'alors elle jouirait
de tous les revenus et que je serais obligé d'avancer tous les capitaux. Mais il ne faut
pas parler de ce qui me fait tant de mal, tout ce qu'elle fait depuis longtemps
vis-à-vis de moi est adroit et injuste, la défiance continuelle qu'elle me montre excite
la mienne et j'avoue que je suis aussi aigri que désolé de la conduite qu'elle tient à
mon égard ; où trouverons-nous donc un ami commun qui fasse cesser la position cruelle
où je me trouve vis-à-vis d'elle et qui seule me rend malheureux ?
[...]
Je serai je crois obligé d'écrire à M. Dupeuple
pour le prier de me faire compter
ici 25 louis, depuis quelques jours je m'en vais grand train et sans qu'il y ait de ma
faute, cependant moyennant l'argent de Second je crois que j'aurais été jusqu'au bout,
mais mad. Narbonne
a besoin de 20 louis ; il est
singulier de prêter aux autres quand on vit soi-même d'emprunt, mais il est impossible
de refuser pour mille et une raisons ; si elle pouvait me les rendre avant mon départ
alors je ne prendrais rien de M. Depeulle
mais cela n'est pas vraisemblable, au reste j'en fais mon affaire auprès de lui et lui
en écrirai un de ces jours.
[...]
Je suis obligé de finir ma lettre, que ce Fontaine trouve sûrement
un peu longue, je serre tant que je peux pour pouvoir t'écrire plus de choses ; il
paraît que vous avez bien fait les fous, entre nous quand les demoiselles sont d'un âge
bien mûr il faut bien qu'elles se décident à entendre la plaisanterie, mais je sais que
celle de Mollier et Siclet est un peu vigoureuse ; je n'ai rien compris au billet de
Morand ; si ce n'est qu'il chassait et faisait la cour à ma femme
, qu'il ne réussissait pas au premier
article mais bien au second je me serais bien passé de cette découverte ; sur le reste
du billet je consulterai des gens qui ont l'habitude de ces affaires et t'enverrai la
réponse. D'un autre côté madame qui s'ennuyait à Machy quand j'allais l'y voir tous les
huit jours, s'y amuse beaucoup depuis que je suis à cent lieux d'elle, en vérité tout
cela est fort galant.
Mille baisers à mes enfants, qu'Albine
m'excuse, il m'est impossible d'écrire
et je suis vraiment fatigué de tout le papier que je barbouille depuis deux jours. Léo
ne veut donc pas pondre des dents ;
j'en suis d'autant plus fâché que cela va retarder le moment d'en débarrasser la
nourrice ainsi que la naissance de son petit frère.
[...]
Adieu ma tendre amie
,
malgré mes raisons de te bouder, je t'aime toujours, bien plus que moi-même et de
manière à ne trouver de vrai bonheur que dans ton tendre attachement ; je t'embrasse de
tout mon cœur.