A monsieur Morand de Jouffrey, rue de Richelieu, hôtel Ménar
vis-à-vis la rue Ménar, à Paris.
Lyon, ce samedi 3 février 1810
J'espère bien, mon bon ami, avoir de tes nouvelles aujourd'hui et
j'ai promis à Mme Sain
de lui en faire donner,
il n'y aurait que le cas où vous ne seriez pas arrivés mercredi avant le courrier et
alors il faudrait donc bien attendre jusqu'à demain. Mme la Petite
a été tout étonnée que je t'aie déjà écrit et que je
recommence aujourd'hui, je la vis ici un moment hier matin, elle me fit cependant
demander le soir ton adresse ainsi il y a apparence qu'elle va suivre mon exemple ou
qu'elle y est peut-être forcée pour quelqu'affaire, elle dîne demain chez Mme Parens et
Emile ici, elle m'a promis pour mardi quoique je n'aie point d'homme ; nous n'avons vu
personne jeudi et je m'y attendais. M. Henry et M.
de Châteauvieux
sont fort enrhumés, M. de la
Noue
ne m'est point venu voir je ne sais à quoi attribuer cette conduite, ils
ne sont vraiment pas dans cette famille comme les autres, il faut n'y pas faire
attention aussitôt que le temps sera plus doux j'accompagnerai Azélie
chez sa tante pour remplir tous les
devoirs. Mme Dubouchet
fut celle qui vint nous
tenir compagnie, elle est toujours attentive et occupée de son objet ; M. Baboin
a été mardi chez M. Carthan et chez M. Ballai
pour dire à tous deux que le grand
froid l'avait empêché d'aller visiter l'objet dont on lui avait parlé, mais qu'il avait
toujours les mêmes intentions, il ajoute toujours qu'au reste on ne peut que faire de
mauvaises affaires en achetant à la campagne, on peut y croire parce que suis un bon
calculateur.
Le petit James
a l'air dans
ses lettres à sa mère de tenir furieusement à une de ces nouvelles places, il a d'abord
parlé pour Lyon mais à présent il s'annonce pour en désirer une quelque part que ce soit
et l'on voit bien qu'il a un peu d'ambition ce qui fâche beaucoup sa mère, pour moi sans
autre intention j'aurais souhaité pour notre James
voir celui-là se fixer ici, tu feras sûrement des questions à M. Derbouville
à cet égard, M. Cochard
me dit l'autre jour chez Mme Follin
qu'il mariait sa fille à un Crillion,
ajouta aussi qu'il était question de beaucoup de changement pour les préfets
qu'on parlait de revenir aux
intendances et que M. d'Erbouville
deviendrait
avec ce titre es. c.
J'ai reçu hier une lettre de James
à ton adresse, il y est assez plaisant, mais ce qu'il y a de fâcheux,
c'est que M. Duclos
qui me vint voir sut du
portier que tu étais à Paris et l'a dit à Grenoble ; James
n'y croit point et prétend que comme M. Duclos
est un peu sourd il aura entendu Paris
au lieu de Machy. Car d'après nos intentions je lui dis que tu étais à la campagne,
James
enfin ne te croira pas malade en
recevant ta lettre, il est dans le fort de son travail et en para
ît comme à l'ordinaire bien tourmenté, mais il doit approcher du terme
de ses peines.
J'ai reçu une lettre de ma
sœur
qui m'a satisfait beaucoup, elle parle avec beaucoup de force et de
résignation ; la visite de Mme Follin
lui a fait
plaisir, elle me charge de mille choses pour toi.
Nous fumes passer hier la soirée chez Mme Bailla
; Mme Poulin me donna une bien belle
nouvelle qui s'est débitée au Cercle, que Bonaparte faisait son palais impérial aux
Brotteaux, qu'on prenait tous les terrains qui se trouvaient entre le pont de pierre et
le pont Morand, qu'on placerait le palais en face des Cordeliers, on ajoutait que
nécessairement le Gouvernement achèterait le pont, qu'on en construirait un en pierre en
face du palais, que le terrain aux Brotteaux allait devenir bien précieux, etc. enfin tu
es à la source pour en connaître la vérité, cela me paraît bien un peu dénué de
vraisemblance. Cependant Mme Poulin
le donnait comme
certain, ainsi va aux renseignements et si cela était possible je crois qu'il y aurait
bien du pour et du contre pour nos intérêts et qu'il serait bien important de ne pas
perdre de vue cette grande affaire ainsi tous les voyages à Paris seraient de
quelqu'utilité et tu feras bien dans ce moment de profiter de ce petit séjour pour y
voir toutes les personnes qui seraient dans le cas de te servir utilement dans plusieurs
parties je présume que la lettre que tu n'as pas faite ici à M. Beugnot
tu la feras à Paris, car enfin il ne peut
pas être éternellement absent de la capitale.
Ce qu'il y a de bien pénible c'est que le froid qui avait
extrêmement diminué hier a repris aujourd'hui ; il fit un beau soleil et on croyait
presqu'au dégel ; je fus le matin à Fourvière qui est le jour d'obligation pour moi
j'eus beau et bien chaud. Le thermomètre n'était qu'à 9 le matin et il est revenu
aujourd'hui à 8, ce qu'il y a de mieux c'est que le baromètre est presqu'au variable. Le
temps est très couvert et il faut croire que le changement de quartier de la lune nous
en fera aussi éprouver ; j'ai vu M. Tisseur
qui
comme tu sais est toujours très rassurant, M. Marion qui ne négligera rien de ce qui
sera utile. Le Rhône ne chariait point hier l'après dîné, on dit que l'eau en est
chaude ; j'avais oublié ma destination pour hier matin et j'ai manqué M. Avanchy
qui a pris la peine de
venir et a dit qu'il repasserait ; je ne voudrais pas tarder à le voir et je pourrais
bien lui écrire un petit mot pour éviter de nous manquer une seconde fois.
J'appris l'autre jour avec étonnement qu'Eugène partait pour Paris,
je lui envoyai de suite ton adresse et je pense qu'il cherchera sûrement à te voir ; si
tu es dans ce cas là je ne serai pas fâchée que tu le consultas sur une emplette que je
vais le prier de me faire (mais tu voudras bien ne pas t'en écarter). Je marchande
depuis longtemps un châle qui est ici du prix de 5 à 6 louis, on les dit un peu moins
cher à Paris et la source, je le désire blanc ou amarante, mais pas une
autre couleur, quelle qu'en soit la mode, on appelle cela ici un chal boiteux, en laine
de six quarts au moins et plutôt 5. Je les aimais à grandes palmes, on m'a dit qu'à
Paris le dessin en variait, je sens que quant à cela il faut le prendre des plus
nouveaux, mais blanc ou amarante en laine très fine, et au moins de 6 quarts et je suis
décidée à y mettre le prix nécessaire pour l'avoir beau, cependant pas au-delà de 6
louis parce que l'on peut l'avoir en belle qualité à ce prix, si Eugène peut t'aider
comme c'est sa partie j'ai confiance en lui pour cette emplette.
Je te charge de dépenser et tu n'as point d'argent, je désire
toujours davantage que tu en puisses faire. Du petit trésor, je vais te désigner aussi
tout de suite ce qui peut faire plaisir à Léo
; en faisant une affaire quelconque avec un joilier (sic), tu pourrais
obtenir peut-être en sus une paire de boucle d'oreilles de coraille (sic) c'est ce dont
elle avait le plus d'envie, pour assortir au collier que lui a donné Honoré
, elle avait espéré qu'il compléterait
son cadeau cette année, Eugène pourrait aussi te dire ce que lui ont coûté celles de sa
sœur. Voilà des objets de dépense, tandis que nous devrions n'y pas penser dans aucun
cas et surtout si cette promenade se fait en partie à tes frais mais j'aime à compter
sur le bon esprit du moine
à cet
égard et dans le fait vous méritez bien d'être traités comme ceux qui vous ont
précédés ; il est près de midi je n'ai point encore de lettre, le courrier se rendit
fort tard hier, adieu j'ai bien rempli mon grand papier, j'espère que ta santé ne se
trouvera pas mal de cette courses nous t'embrassons.
Dans la marge de la deuxième page : « Mme Sain
n'a pas renvoyé chercher l'adresse, je
suis persuadée que dans ce ménage il calcule même les ports de lettres, fais mes
compliments au moine
, j'espère
bien que vous ne vous êtes pas séparés ; Honoré
est toujours à Curis, le petit
choux
se porte bien, la tatan Léo
est toujours la même, a un heureux caractère pour elle et pour nous
adieu encore une fois. »