Adresse ?
Lyon, le 16 thermidor, lundi
Demande à sa mère d'intervenir pour qu'il ne soit pas nommé au tribunal de
première instance, ce qui l'obligerait à démissionner. Une lettre à sa femme, du 19
prairial an 9, me laisse penser qu'il s'agit bien de cette année là, et de ce moment
là.
[...] J'arrive de la campagne, ma chère maman ; ma femme
et Albine
y sont retournées et je ne suis
venu à Lyon que pour présenter une pétition au projet relativement à l'impôt établi pour
le pont, dieu veuille que cette demande n'ait pas le même sort que celles que nous avons
si souvent formées à cet égard !
L'enflure de mes jambes est un peu moins forte, mais j'ai mal à
l'œil depuis quelques jours, et je trouve que c'est allé de mal en pis car vous savez
que je ne crains rien autant que ce mal d'usage auquel je ne m'habitue pas ; vous
jugerez cependant qu'il n'est pas bien fort puisque je cours les grands chemins et
griffonne encore le papier.
Je n'ai pas eu le plaisir de voir M.
Béranger
à son passage ne sachant où le trouver, indépendamment de tout
intérêt, j'aurais été fort aise de le revoir, je sais qu'il est très bon à connaître
sous tous les rapports et je l'avais reçu lors de sa nomination, et de son passage à
Lyon, avec le grand Morand qui était lié avec lui, je ne me rappelle pas si vous étiez
du dîner.
Quant à M. de Rollin
, j'ai eu
une correspondance très suivie, mais de mon côté seulement, il ne m'a écrit qu'une seule
fois pour me témoigner et son étonnement et ses regrets de ce que je n'avais pas été
nommé, je l'ai toujours tenu prévenu depuis, des démarches qu'on pourrait faire pour
moi ; je ne sais s'il s'en est occupé ; je vous aurais priée de me faire recommander
encore à lui parce que je crains de lui écrire, mais on m'a assuré qu'il était au moment
de quitter Paris, à la vérité il est toujours partant et jamais parti, veuillez bien
faire ce que vous croirez le plus convenable.
Si maintenant, vous avez quelque moyen de faire écrire justement à
M. Béranger
; voilà la position des choses. Un
nommé Martin Fesquet
de Genève (qu'on dit négociant)
a été nommé juge au tribunal d'appel de Lyon. Il est établi depuis peu à Paris où il a
un grand état de maison et ne veut pas accepter. Depuis l'époque où je vous écrivis, on
a nommé aux deux autres places vacantes, l'une d'elle celle de substitut du commissaire
a été donnée à un nommé Carelli
qui habite aussi
Paris, qu'on dit très riche et ne pas devoir accepter cette place, ce qu'il y a de
certain c'est qu'on n'en a pas encore de nouvelles à Lyon et qu'on ne sait s'il accepte
ou s'il refuse. La place de Martin Fesquet
doit donc
être décidément à nommer et peut-être celle de substitut, que j'accepterais si… mais qui
cependant n'est ni aussi agréable ni aussi fixe que celle de juge.
Si l'on connaissait quelqu'un à Genève ou partout ailleurs, qui fût
lié avec Martin Fesquet
ce serait bien en
s'adressant à lui qu'on pourrait l'engager à proposer son remplaçant, parce qu'on dit
qu'il a assez de crédit. Mais enfin pour sa place, celle de substitut ou toute autre,
qui viendrait à vaquer au tribunal d'appel de Lyon, on peut être recommandé justement
aux puissances par les moyens que vous croirez les plus décisifs. Je crois qu'il n'est
pas nécessaire vis-à-vis de vous de parler de mes titres, votre attachement de mère les
fera valoir mieux que moi, je vous rappellerai seulement les époques : reçu avocat au
parlement de Paris en 1779 ; dans l'ordre des avocats à Lyon en 1780 ; procureur du Roy
au bureau des finances de la généralité de Lyon en 1785 ; perdu mon état par la
Révolution, nommé juge suppléant par les premières assemblées électorales au district de
Lyon ; et juge au tribunal du Rhône par mes concitoyens en l'an 4. Les talents la
réputation et le sort affreux du Père ne peuvent qu'ajouter aux droits du fils comme
ancien et nouveau magistrat.
Je dois vous dire que le
préfet
du département, que bien des gens ont pressé à cet égard sans que j'en
eusse la moindre connaissance, m'a fortement recommandé au ministre de la justice
; que Rambaud
commissaire et mon ancien ami a aussi écrit très fort en ma faveur ; que je crains que
ces recommandations me fassent nommer à quelque place vacante au tribunal de première
instance, et que vu la composition, je ne pourrais accepter sans perdre le peu de
considération dont je peux jouir ici et que certainement rien ne pourrait me décider à
accepter. Je sens cependant qu'on me saurait mauvais gré de donner ma démission, que
cela pourrait ensuite me nuire, et je vous prie de me faire recommander absolument pour
une place vacante au tribunal d'appel mais de manière s'il est possible à ce que ces
recommandations ne me vaillent pas une place qu'il faudrait refuser. Mayeuvre Champvieux
notre ami, s'agite
beaucoup, lui et tant d'autres doivent avoir à Paris bien des moyens de réussir que je
n'ai pas ; au reste j'avoue que je crains si fort de demander que M. Rollin
est le seul à qui j'aie pu me décider à en
écrire ; je ne sais si je vous ai dit, qu'on assure que c'est Mad. Prévernaux
que bien vous connaissez, qui m'a
fait retrancher de la composition du tribunal d'appel lors de sa formation ; cette dame
est bien aimable bien rancunière et sans doute bien puissante à Paris.
Mille choses à ma tante
,
veuillez bien tirer surtout Desgranges
le solde
de ce que je dois pour le terme commencé à la Saint-Jean, seulement le premier fructidor
19 août, M. Tisseur
et moi aurons soin que la somme
soit prête à cette époque. J'embrasse de tout mon cœur Eléonore
et son mari
. Il fait ici une telle grillade
que bientôt nous n'aurons plus de l'eau à boire.
Les plantations faites aux Brotteaux qui avaient bien pris sont
défraîchies par cette grande chaleur et toute la campagne même la vigne souffre bien du
défaut de pluie.
Je vais ajouter une demi-feuille pour pouvoir fermer cette lettre.
M. Daudiffret
est encore ici, il paraît que
M. Desion
s'est rendu à Lyon et je ne sais
pas si le voyage de Daudiffret
à Grenoble aura
lieu. Il dit cependant qu'il compte s'y rendre incessamment pour un procès qu'il compte
terminer par un arrangement. [...]