Adresse ?
Grenoble, 14 fructidor
Une lettre de la mère d'Antoine, glissée dans une lettre qu'il lui adresse
sans date, rue Brocherie, « le 8, mercredi ». Il s'agit du 8 fructidor, soit
mercredi 26 août.
Votre seconde lettre, mon cher fils
, m'a fait le plus grand plaisir, elle a effacé l'impression
fâcheuse et désespérante que m'avait causée la première, je l'ai lue relue avec délice.
Le présent que vous me faites est de fort bon goût, votre position gênée le rend plus
magnifique et vous n'aurez pas de peine à croire que son plus grand prix à mes yeux est
la manière de me l'offrir. J'y retrouve les traces de cette sensibilité délicieuse qui
vous caractérisait dans votre enfance, en laquelle votre mère avait une si grande
confiance qu'elle s'est laissée entraînée à tous les sacrifices en votre faveur. J'ai lu
l'article de Léo
à votre sœur ;
traiter Louise
comme votre filleule m'a paru fort
plaisant et mérité. J'ai vu avec peine dans le temps que ma belle-fille n'ait pas été sa
marraine, j'ai admiré la tournure élégante de Léo
, comme on n'a pas jugé celle à qui
elle est destinée assez raisonnable pour la traiter avec égard, on attend cet hiver pour
la lui confier. Ce n'est pas d'ailleurs une fille des champs, il la faut réserver pour
habiter une capitale quoique un peu différente de celle d'où elle sort ma sœur
ne peut croire qu'une fille de
Saint-François fût destinée à avoir son chiffre tracé sur un verre elle sait dit-elle
très bien que toutes les barbes (sic) ne sont pas en paradis, j'ai attendu pour vous
répondre l'arrivée de votre sœur
de Voiron,
votre beau-frère
a dû vous écrire il
a été enchanté de sa nouvelle fille et votre
sœur
très sensible à ce témoignage d'amitié, Olimpe
qui est dans la confidence l'a admirée, il n'y a que la pauvre Louise
qui n'y est pas. Je me faisais cependant un
grand plaisir de jouir de la joie de son étonnement, c'est partie remise. Puisse encore
mon cher fils
renaître cet heureux
temps où vous, votre sœur et moi ne faisions qu'un cœur et qu'une âme. Je n'ose parler
de celui qui faisait le bonheur de notre quatuor ; l'harmonie du trio qui reste ferait
la consolation, et le seul plaisir que je puisse encore goûter. Je vous fais compliment
sur les succès de votre voyage quoique partiels j'en suis fort contente et votre
compagnie doit l'être, c'est beaucoup que d'avoir gagné dix à onze d'exemption
d'imposition (si j'ai bien su compter) cela donne du temps pour la prorogation et pour
mieux encore, selon votre projet secret et futur. C'est cependant une grande
inconséquence que de ne pas nous faire jouir de l'avantage des autres ponts en les
traitant comme les carreaux et usines (ainsi que votre père l'avait observé), il était
de la justice de nous accorder les trente années puisque nous avions toujours payé et
été privés du bénéfice accordé aux autres, mais malheureusement le fisc n'a jamais connu
le rétroactif en imposition et c'est là que la justice est prise en défaut.
Je ne doute point de toutes les sensations délicieuses que vous ont
fait éprouver votre femme et vos enfants, heureux mari heureux père et je puis bien dire
heureux fils que n'étais-je là pour tirer parti de cette jouissance que j'ai toujours si
bien sentie en pareil cas, il paraît qu'Albine
et James
ont bien grandi quelle
joie ont du éprouver ces chers et bons enfants de revoir leur bon père
après une si longue absence, je
ne puis douter que vous ne souffriez de notre séparation par la peine que j'en éprouve.
Le voyage de Lyon à Grenoble est aussi facile que peu coûteux, profitez-en lorsque vous
y trouverez votre plaisir et que vos affaires vous le permettront. Plus vous serez en
nombre d'enfants grands et petits plus j'aurai de satisfaction et c'est à cette époque
que nous ferons usage de mon verre pour boire à votre santé. J'ai vu hier Mme Hélie
qui a su votre arrivée. J'ai été étonnée que
son mari
n'ait pas encore reçu de vos nouvelles.
J'ai fait comme si j'avais reçu ma lettre le même jour je lui ai dit que vous m'aviez
écrit de Machy et que vous attendiez sans doute d'être à Lyon pour lui rendre compte de
votre mission et lui parler de l'avoir de la Compagnie. Je lui ai dit cependant que vous
aviez obtenu quelque chose, que c'était d'elle que j'en attendais le détail. Vous ferez
très bien de ne pas parler du projet ultérieur car je crois que M. Hélie
ne serait pas éloigné d'avoir cet hiver une
occasion pour aller à Paris, son père qui est en Italie et qui y a enfin placé ses deux
neveux dans des bureaux par la protection de Lacombe doit passer bientôt pour y aller.
J'embrasse bien tendrement votre femme, vos chers enfants, cette jolie petite Léo
que j'aurais de plaisir à jouir de
la joie qu'a dû lui causer la Louise élégante que vous lui avez apportée. Ma sœur
vous remercie et vous embrasse tous.
Mlle Joséphine Demesai
épouse aujourd'hui M. Contantin
, établi à Lyon
dont le père était conseiller à Dijon, l'on le dit d'une bien jolie figure il est riche
et amoureux, il n'a qu'une sœur. Il vivra à Lyon avec son père et sa mère mais il doit
passer son hiver à Mélan [meylan]. La mère est une Mlle Debrosse sœur [...]. Mlle Demesai
est infiniment intéressante par sa
jolie figure, les grâces de son esprit et son heureux caractère. Je ne vous parle pas du
père, il m'a tenu il y a peu de jours un propos offensant, qui m'a donné lieu à bien des
réflexions embarrassantes. Adieu aimez-moi comme je mérite de l'être si vous voulez
ajouter à votre bonheur.